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Par Sandra Fierro le 18 Mai 2014 à 00:55
Lorsque nous étions enfants nous rêvions d’aller sur les mers. Maintenant que nous avons grandi, nous accomplissons ce rêve.
Inscription viking (dont je n’ai pas retrouvé la source)
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Pas facile de partir.
Même si on y pense depuis l’enfance, rendue au pied de l’avion, ce n’est pas facile. (Surtout par un escalier à roulettes, à l’époque les passerelles d’embarquement n’existaient pas).
Pourtant j'en avais rêvé, de ce voyage, cette aventure. Je m'étais inscrite à un programme pour les Migrations Européennes ; on m’avait acceptée, je pouvais partir à l'étranger.
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Par Sandra Fierro le 18 Mai 2014 à 00:55
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A l’époque Aerolíneas Argentinas ne mégotait pas sur les places invendues.
Je m’installai de tout mon long sur 4 places vides, quittai mes bottes camarguaises que j’emportais aux pieds, faute de place dans mon maigre bagage en soute et dans la malle qui devait suivre, m’avait-on assuré, de Montpellier à Buenos Aires, et dormis comme une marmotte.
Je me réveillai au son de la voix du pilote, de jour, pour un petit déjeuner.
Lorsqu’il fallut remettre les bottes, j’attrapai des sueurs froides. Mes pieds gonflés ne rentraient plus ! Tout voyageur sachant voyager doit se vêtir de vêtements amples et de chaussures commodes et basses, car la pressurisation de la cabine vous fait enfler. Je l’appris ce jour là. L’avion freinait déjà sur la piste, à pleines turbines à l’envers, alors que je bataillais désespérément pour enfiler ces foutues bottes. Les passagers applaudissaient l’atterrissage comme au spectacle, tandis que je me voyais débarquer à l’immigration les bottes à la main.
Mon père disait qu’il existe un bon dieu pour les ivrognes et les innocents (au sens de simples d’esprits). Comme le bon dieu fait des tas d’âneries, je ne sais pas dans quelle catégorie il me place – on n’est jamais à l’abri d’une erreur d’appréciation – mais je parvins enfin à loger mes pieds au fond de ces punaises de bottes, et pus débarquer la tête haute et les talons droits. Nous étions fin novembre, le printemps commençait à se muer en été, il faisait chaud pour des bottes. Je ne rêvais que de retrouver ma malle pour les enlever (à condition que mes pieds en ressortent, je me méfiais désormais).
Le tapis à bagages tournait encore à vide et la malle n’y était pas.
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Par Sandra Fierro le 18 Mai 2014 à 21:33
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Avant de partir là-bas, je n’avais jamais rencontré d’Argentins. En 1979-80, dans le midi, on voyait beaucoup de chiliens, qui fuyaient Pinochet. Les Argentins en exil s’arrêtaient à Paris. Car la dictature battait son plein depuis 1976. Quelques années auparavant j’avais été vaguement étonnée que le Président de la République d’Argentine soit une Présidente, c’était peu courant à l’époque. Il s’agissait d’Isabel Perón, qui allait être déposée par les militaires en 1976, enfermée un temps à San Martín de los Andes, puis envoyée voir ailleurs en Espagne.
Lorsqu’on me demandait si je n’avais pas peur d’aller dans une dictature, je haussais les épaules. A 23 ans, on n’a peur de rien. Pour moi l’attrait de l’aventure était plus fort que la crainte d’un régime militaire dont je pensais n’avoir rien à craindre. Un siècle plus tôt, on m’eût qualifiée « d’aventurière », terme déjà peu flatteur au masculin, mais qui devenait scandaleux au féminin. Une chance que les mentalités évoluent, trop lentement, certes, mais, merci aux temps modernes, j’ai pu partir et arriver sur le nouveau continent sans que l’on me regarde comme une bête curieuse.
Au contraire, en tant que jeune Française, j’étais surcotée. Je fus invitée une paire de fois à boire quelques verres par de jeunes fils à papa, voiture de luxe, bar branchés des quartiers chics.
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Par Sandra Fierro le 19 Mai 2014 à 21:48
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Je cherchais du travail.
Avec mon BTS de secrétariat trilingue en poche, et mon année d’expérience dans les bureaux de la réglisse, à trimballer à quatre mains la chaise sans roulettes collée au derrière, je ne craignais rien. Il faut dire que ces réglisseux avaient des méthodes à l’ancienne, pas seulement pour les chaises à roulettes, mais pour l’embauche également. Lors de mon entretien, celui qui allait être mon futur chef réglisse me dicta une lettre, que je pris en sténo. Il accéléra, accéléra, plus vite encore, jusqu’à ce que, la mort dans l’âme, je me résolus à lui dire d’attendre un peu, il allait trop vite. Le déshonneur pour une sténo-dactylo. Adieu l’embauche… Il me regarda placidement et dit : « – C’était pour voir jusqu’où vous alliez… »
Son chef à lui me demanda, entre autres questions, combien pesait un mètre cube d’eau. Merci, ô mes maitresses de l’école du Plan d’Alès, et merci à ma mémoire qui a ressorti ces notions d’un bocal hermétique, je m’en tirai pas à pas. « – Alors, un litre d’eau pèse un kilo. Un litre c’est un décimètre cube, pour arriver au mètre cube, j’ajoute trois zéros… Excusez-moi, je ne vais pas vite… » J’étais désolée de ne pas pouvoir lui sortir la réponse du tac au tac, il allait me prendre pour une nulle… Le gars leva la main en signe d’encouragement. Je repris : « – Donc ça pèse 1000 kilos… » Et là, le trou. Une tonne, c’est cent kilos ou c’est mille ? Affres. Il me sortit d’affaire sans le savoir. Il finit la phrase à ma place : « –Une tonne », dit-il. « – Oui ! » Je vous dis qu’il y a un bon dieu… Et je fus embauchée. Un an après je les quittais sans regrets pour partir en Argentine.
La première annonce où je me présentai à Buenos Aires offrait un salaire de 100 dollars américains par jour. Ça paraissait énorme. C’était énorme, mais cela permettait de vivre, sans plus. En 1980 on ne pouvait pas faire fortune avec 100 dollars par jour.
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Par Sandra Fierro le 5 Juin 2014 à 23:10
5
Puisque j’avais un travail, je cherchai un appartement. Munie du plan de la ville et des petites annonces du journal, je me mis en chasse. Comme dans toutes les grandes villes, certains apparts étaient sombres, donnaient sur un puits ou un mur à trois mètres de distance. Cela suffisait à me démonter le moral. La fille du midi avait besoin de soleil autant que de nourriture. Et du soleil, à Buenos Aires, il y en a. Il suffisait juste de trouver l’appart qui le laisse rentrer. Je me levai aux aurores un dimanche (le meilleur moyen de griller les Argentins sur un bon plan, eux ils se lèvent tard), et dénichai la perle rare en face de la faculté d’odontologie, rue Junin entre l’avenue Córdoba et Marcelo T de Alvear, que les vrais porteños appellent encore de son ancien nom, Charcas. Au 9e étage, l’appartement se rétrécissait pour laisser de la place à un balcon. Une ligne de bus directe me laissait au bureau en un temps raisonnable. ¡Viva la pepa !
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