• 2 - L'arrivée à Buenos Aires

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    A l’époque Aerolíneas Argentinas ne mégotait pas sur les places invendues.

    Je m’installai de tout mon long sur 4 places vides, quittai mes bottes camarguaises que j’emportais aux pieds, faute de place dans mon maigre bagage en soute et dans la malle qui devait suivre, m’avait-on assuré, de Montpellier à Buenos Aires, et dormis comme une marmotte.

    Je me réveillai au son de la voix du pilote, de jour, pour un petit déjeuner.

    Lorsqu’il fallut remettre les bottes, j’attrapai des sueurs froides. Mes pieds gonflés ne rentraient plus ! Tout voyageur sachant voyager doit se vêtir de vêtements amples et de chaussures commodes et basses, car la pressurisation de la cabine vous fait enfler. Je l’appris ce jour là. L’avion freinait déjà sur la piste, à pleines turbines à l’envers, alors que je bataillais désespérément pour enfiler ces foutues bottes. Les passagers applaudissaient l’atterrissage comme au spectacle, tandis que je me voyais débarquer à l’immigration les bottes à la main.

    Mon père disait qu’il existe un bon dieu pour les ivrognes et les innocents (au sens de simples d’esprits). Comme le bon dieu fait des tas d’âneries, je ne sais pas dans quelle catégorie il me place – on n’est jamais à l’abri d’une erreur d’appréciation – mais je parvins enfin à loger mes pieds au fond de ces punaises de bottes, et pus débarquer la tête haute et les talons droits. Nous étions fin novembre, le printemps commençait à se muer en été, il faisait chaud pour des bottes. Je ne rêvais que de retrouver ma malle pour les enlever (à condition que mes pieds en ressortent, je me méfiais désormais).

    Le tapis à bagages tournait encore à vide et la malle n’y était pas.

    Le chauffeur  de la voiture qui venait m’accueillir à Ezeiza m’accompagna, heureusement, aux réclamations pour lesquelles je n’avais aucune idée de comment procéder. Il me conduisit ensuite sur les 30 km qui mènent à Buenos Aires, dans une voiture américaine qui me parut bien énorme vu le maigre bagage qu’il me restait. L’un des premiers panneaux que l’on passe indique Boulogne sur Mer : en France c’est là où est mort le grand homme argentin, José de San Martín. En Argentine, c’est une ville aussi. Tout le temps du trajet mon guide fulmina contre l’inflation. Lorsque nous avons continué à pied dans le centre ville, au milieu des magasins, il me montra les prix des chaussures. Je ne connaissais rien au peso argentin ni au prix des chaussures à Buenos Aires, mais je vis bien que les étiquettes en étaient aux centaines de milliers.

    Le chargé du programme de Migraciones me reçut, en plein centre ville, dans le quartier el Bajo. El Bajo, cela veut dire Le Bas de la ville, là où le terrain descend vers le port sur le Río de la Plata. On ne s’aperçoit pas que Buenos Aires est un port, je le regrettais bien. Un port historique même, du temps de la Conquête, aujourd’hui un port moderne d’où partent et où arrivent toutes les marchandises du commerce argentin. En 1980, tout était fermé, barré, contrôlé, palissadé, on ne voyait ni le fleuve ni les bateaux. Dommage. Je reçus du fonctionnaire de Migraciones une petite somme d’argent pour les repas, et les papiers pour l’hôtel que l’organisme allait payer pour moi jusqu’à ce que je trouve du travail. Il allait s’occuper également de me faire établir des papiers d’identité argentins.Edificios Buenos Aires

    L’hôtel était situé dans une petite rue piétonne, la rue Florida, et s’appelait le Jockey Club. Lorsque nous sommes arrivés, le réceptionniste était occupé à balayer la moquette de l’étroite entrée, au balai en paille. Il soulevait une poussière qui allait forcément se redéposer sur le comptoir et les quelques sièges. Ils n’ont pas d’aspirateur ? Il m’amena à une chambre à l’étage, sans fenêtre, qui donnait sur une galerie intérieure sombre et silencieuse. Je m’assis sur mon lit, considérai la semi-obscurité, et une déprime monumentale me tomba dessus. Il fallait me secouer, je décidai de changer de chambre. A ma requête, le réceptionniste eut l’air désappointé de celui qui s’est donné du mal en pure perte :

    « – Je vous ai donné une chambre tranquille, vous n’avez pas le bruit de la circulation. »

    La circulation, dans une rue piétonne ! Je voulais une chambre plus lumineuse, avec une fenêtre qui donne dehors, pas dedans, et je l’obtins.

    Avec le décalage horaire dans ce sens là, on est réveillé très tôt le matin. J’en déduisis qu’en Argentine on n’avait pas sommeil. Il fallait décrocher le téléphone pour demander le petit déjeuner, qui était servi dans la chambre. Avec l’inimitable accent porteño, celui de la capitale, la réponse classique « El desayuno ? Ya lo llevo ! » (Le petit déjeuner ? Je vous l’apporte tout de suite !) devenait « El desashuno ? Sha lo shevo ! », selon la règle que les deux L et le Y se prononcent « je » dans toute l’Argentine et « she » à Buenos Aires.

    Cet hôtel était celui des immigrants européens comme moi, qui venaient d’arriver et cherchaient du travail. A ce moment là il y avait deux Italiens, la quarantaine, et deux Français de mon âge. Les Italiens, bien décidés à ne pas trouver du travail, s’efforçaient de prolonger un maximum leur séjour aux frais de la princesse. L’un d’eux, tout fier de son exploit, me montra sa carte d’identité argentine, où il avait fait inscrire « Soltero », célibataire, comme ça il pouvait se marier encore une fois s’il voulait, malgré madame restée au pays. Je n’osai pas lui demander à quoi ça l’avancerait d’être bigame, il avait l’air tellement content.

    Ce fut bientôt mon tour d’y aller, moi aussi, faire la carte d’identité, le DNI. La file d’attente dépassait la centaine de mètres sur le trottoir. Comme il y a un dieu pour les innocents, etc, j’avais la chance que l’Office des Migrations était bien placé et bénéficiait de coupe files. Là-bas, tout marche au piston, aux connaissances et à la débrouille, mais je ne le savais pas encore, et donc ne compris rien à ce que l’on faisait pour moi. Le mentor qui m’accompagnait me fit doubler toute la file dehors, rentrer par de petits couloirs et petites portes, et en deux heures j’eus mon document, un petit carnet de couleur rouge pour les étrangers résidents permanents, dont le numéro commençait par 92 millions.

    Les Français de l’hôtel, Philippe et Claude, étaient des électriciens. Ils promenaient un regard critique sur les installations à l’intérieur des restaurants où nous allions manger ensemble.

    « –C’est pas aux normes ! 

    – Y’en a, des normes, en Argentine ?

    – Je sais pas, mais c’est un travail de sagouin ! »

    Ils avaient trouvé un chantier dans une province de l’intérieur, avaient bossé à conscience, étaient revenus une fois le travail fini, et attendaient toujours d’être payés. Cela amenait quelques frictions entre eux : Claude soutenait qu’il aurait fallu demander un acompte avant de commencer, Philippe rétorquant que « ça s’fait pas », et Claude de lui agiter sous le nez un mois de boulot à l’œil.

     

    Je partis à la découverte de la ville.

     

    Edificio de Aguas, avda CordobaC’est grand, Buenos Aires, plus grand que Paris. Ce qui me dérouta beaucoup, ce sont les rues droites, qui se coupent en angle droit, à perte de vue. Jamais un virage. Je commentais aux Argentins que je me perdais avec ces rues toujours droites. Ceux qui avaient voyagé en Europe trouvaient au contraire que c’est chez nous qu’on se perd. M’enfin, ici on est quand même obligé de regarder les numéros des maisons pour savoir quand est-ce qu’on descend du bus, chez nous on voit de suite où on est ! Quand on connait déjà, oui, me répondait-on. N’empêche, plusieurs fois j’ai pris l’autobus sur le trottoir d’en face, qui m’emmenait dans la direction opposée. C’est dur de se repérer. Je finis par trouver UNE rue avec un coude, une, dans le centre, et j’y revenais quelques fois, pour le plaisir.

    Les immeubles sont assez impersonnels et plutôt modernes, ce qui fait que lorsqu’on en trouve un beau, on le lèche, on le prend en photo, on se le garde pour soi, on le montre à tout le monde. Il y en a quelques uns. J’avais encore le tic compagnonnesque de regarder partout sur les bâtiments à la recherche d’indices, mais je crois que jamais aucun de ces glorieux travailleurs n’a éprouvé le désir de s’expatrier, ils ont assez de boulot comme ça chez nous. La Boca 2Bien entendu, je visitai le vieux quartier de la Boca, l’ancien port de la Buenos Aires d’avant. Au-dessus des boutiques à touristes, on voit des toits terrasses ornés de mappemondes de pierre, vestiges d’un passé opulent et marin. Quelques portes en bois ouvragées racontent des fastes éteints. Moi, l'européenne, promenée au berceau sous les remparts de Carcassonne, côtoyant chaque jour les millénaires inscrits dans les pierres de mon midi familial, je découvrais alors que j’étais pétrie de repères historiques, dont je ne savais pas qu’ils me manqueraient autant. San Telmo pulgasJe me surpris à m’émouvoir des légères traces du passé que je dénichais sur ces côtes du Río de la Plata. Oui, l’Argentine a une histoire, mais elle ne se voit pas.San Telmo, puertaChapitre 2 - L'arrivée à Buenos Aires

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Trois semaines après mon arrivée, Aerolíneas se décida enfin à mettre ma malle à disposition, à l’aéroport d’Ezeiza. Pendant tout ce temps c’était une galère que de rester propre, avec l’été porteño qui fait de Buenos Aires un four. La nuit, le béton rend toute la chaleur du soleil emmagasinée pendant le jour, il ne fait jamais frais. Nous, les immigrants de l’hôtel de la calle Florida, nous faisions notre lessive au savon et au lavabo. Philippe avait un mini fer à repasser de voyage, et démontait une porte de son armoire pour s’en servir de table à repasser.

    « – Quand je pense que je mettais une chemise une fois et que je la donnais à ma mère pour la laver … » soupirai-t-il. Son linge était raide. « – Tu rinces pas assez ! ».

    Je fis appel à une Française, résidente depuis au moins vingt ans, qui voulut bien m’amener en voiture à Ezeiza, et passer l’après-midi à parlementer  pour récupérer ma malle. C’est que je maintenais à Aerolíneas que c’était LEUR problème s’ils avaient oublié ma malle à Paris, et que je ne voyais pas pourquoi il me faudrait payer un fret. Tous mes arguments furent vains et je dus le payer, le maudit fret, ce qui écorna sérieusement les 400 dollars qui constituaient toutes mes économies. Mais ce n’était pas fini. La malle devait passer la douane. Croyant naïvement qu’il suffisait de l’ouvrir devant les douaniers pour repartir avec – je n’ai rien à cacher dedans, voyez ! – j’expérimentai là des moments interminables d’attente d’on ne sait quoi (eux le savent, c’est pour vous ramollir). Finalement la dame française m’expliqua que je devais mettre un billet de 20 dollars dans le passeport, et donner le tout au douanier. Sans la crainte de bloquer cette dame et sa voiture encore plus longtemps, j’aurais fait un scandale –qui eut été parfaitement inutile dans cette culture de la « coima », le bakchich – . Je m’exécutai.

     

    Musique : Cuarteto Cedron, (Argentins, vivent en France) "5 de abril"

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Octobre 2015 à 16:52

    Ayyyyyyyyyyyyyy les formalités à Migraciones!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! yes

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