• 43 - Calafate, été 1988-1989

    43 - Calafate, été 1988-1989

    Passé l’hiver à Bariloche, Lake Travel migra à Calafate au printemps, les cars transformés en camions de déménagement. C’était l’été 1988-89.

    Je ne retournai pas à la pension de Carmen. Je trouvai à partager une location avec Marcela, guide, et son copain architecte, dont j’avoue ne plus me souvenir du nom. Il dessinait des plans de maisons, sur papier, à la règle et à l’encre de Chine. Nous buvions du maté tous les jours. La règle d’or : ne pas passer par-dessus le plan avec le maté. Toujours le contourner, pour ne pas risquer qu’une goutte d’eau vert sombre attérisse sur le beau plan qui avait demandé des jours et des jours de dessin. Il surveillait des chantiers, ça construisait à tour de bras, les terrains étaient pratiquement donnés par la municipalité.

    Un jour il revint à la maison tout retourné. En parlant avec les ouvriers, ils en étaient arrivés à parler de la retraite. L’un d’eux lui avait déclaré que les architectes y arriveraient certainement. Mais pas les ouvriers. Parler avec  quelqu’un qui envisageait comme une évidence de ne pas dépasser pas les 45 ans, il y a de quoi se poser des questions.

     

    43 - Calafate, été 1988-1989Comme cette maison que nous louions était grande, ils invitaient des amis de temps en temps, porteños, comme eux, originaires de Buenos Aires. Un soir, je dormais profondément lorsque mon lit commença à tanguer d’avant en arrière : un tremblement de terre. Ce fut bref, mais assez pour réveiller tout le monde parce que ça secouait vraiment.

    Marcela et son copain n’étaient pas là ce soir là. Les amis porteños frappèrent à ma porte, effrayés comme dans un film d’horreur. La fatigue des journées harassantes me commandait de me recoucher illico. Je leur expliquai vaguement quelque chose, me dirent-ils le lendemain, au sujet de la tectonique des plaques, et me rendormis d’un sommeil de plomb jusqu’à la sonnerie de mon 43 - Calafate, été 1988-198943 - Calafate, été 1988-1989  réveil. Eux étaient tellement inquiets qu’ils passèrent le reste de la nuit dans la cuisine à boire du maté, n’osant pas aller se recoucher.

     

    On ne put pas finir la saison dans cette maison, il fallut la quitter, je ne me rappelle plus pourquoi. Je déménageai donc chez Angeles, une autre guide, qui avait déniché une adorable petite maison à l’entrée du village (mais sur le goudron, hé !).

    Chapitre 43 - Calafate, été 1988-1989

     

    Je profitai des camionnettes des copains chauffeurs pour photographier ces soirs où le soleil s’étire et semble ne jamais disparaître.

    Chapitre 43 - Calafate, été 1988-1989

    Comme il est bas sur l’horizon, la lumière rasante donne des couleurs à la fois très vives et pastel. Cela ne se voit pas ailleurs. Comme la terre tourne doucement au 50e parallèle, nous avions tout le temps de prendre une photo, monter dans la camionnette, traverser le village, grimper une colline, prendre une autre photo, etc.

    Chapitre 43 - Calafate, été 1988-1989

    Quelques années plus tard nous nous trouvions à Curaçao, mon mari et moi, chez María del Pilar. Plein équateur, la terre tourne très vite. Lors d’un coucher de soleil sur la mer qui me paraissait digne d’intérêt, je rentrai dans la maison pour y chercher l’appareil photo. Le temps de ressortir… le soleil avait disparu derrière la mer. J’étais bien attrapée. Puis alors, ces pays où il fait nuit à 7 heures du soir toute l’année, quel ennui…

     

    Tandis qu’à Calafate, d’accord, l’hiver il fait nuit à 3 heures de l’après-midi, mais l’été, quel bonheur ! On peut traîner dehors, pique-niquer, pêcher, boire l’apéro… la nuit ne se décide jamais à tomber. On faisait des asados avec les collègues guides, les chauffeurs, ceux des bureaux, et le patron, Edgard. Les jours de repos, on partait à la pêche.

    Chapitre 43 - Calafate, été 1988-1989

    Le patron, Edgard. Décédé depuis, qu'il repose en paix.

     

    Nous avions un patron en or, qui dirigeait son personnel à l’affection. La seule et unique agence que j’aie connue où les chauffeurs obéissaient aux guides, et non le contraire. Aussi, les pourboires, conséquents, que nous laissaient les groupes, étaient scrupuleusement divisés en deux. : une moitié au chauffeur, l’autre moitié au guide. Certains binômes fonctionnaient à merveille : Eugenio, El Cabezón, el Flaco Héctor… On se comprenait au coup d’œil, au coup d’accélérateur discret lors d’une pause, et ils me faisaient confiance jusqu’à me laisser parfois le volant lorsque nous revenions à vide. (voir chapitre 38). Ils n’étaient pas de simples chauffeurs employés de l’agence, mais bien les propriétaires de leur car, qu’ils lavaient, graissaient, bichonnaient mieux que des enfants.

    Mais le patron, qui avait su vendre des réceptifs à Jet Tours, Nouvelles Frontières, Kuoni, Arts et Vie, et avait monopolisé le tourisme des Français, délira dans les dépenses et connut des problèmes de trésorerie. Alors il agit comme on le fait en Argentine : il disparut un temps à Buenos Aires et ne nous versa aucun salaire pendant deux mois. Cela nous était arrivé à tous, avec différentes entreprises, rien d’extraordinaire, mais quand même, nous n’étions pas contents.

     

    Branle bas de combat chez Eric et Fabiana, qui habitaient une maisonnette en bordure de champ, avec une énorme cuisine où nous nous tenions tous, chauffés à la cuisinière à bois malgré l’été. En hiver elle devait monter au rouge. Tous les deux étaient guides de Lake, en allemand.

    Nous n’avions pas de contrat pour la saison à Calafate. Pour les congés, Lake continuait à nous payer le salaire pendant les deux mois de morte saison, en attendant l’hiver à Bariloche, nous n’étions pas à plaindre. Sauf que le salaire se faisait attendre, là, et le boss évanoui quelque part dans la jungle de Buenos Aires.

    Je rédigeai et tapai une lettre, que tout le monde signa, demandant notre dû.

     

    Chapitre 43 - Calafate, été 1988-1989

     

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    Traduction :

    El Calafate, 20 février 1989

    Madame, Monsieur,

     

    Par la présente nous tenons à exprimer notre mécontentement au sujet notre situation en tant qu’employés.

     

    A. Irrégularité dans les paiements de nos salaires :

                . nous touchons notre salaires par morceaux.

                . nous ne connaissons pas la date des paiements.

                . nous touchons notre salaire en retard et hors des limites raisonnables.

     

    Conséquences du point A :

                . discrédit de la compagnie à Calafate, à travers de ses employés, à cause des délais pour payer les loyers, les factures des fournisseurs et des services publics.

                . impossibilité de faire face aux obligations de prêts contractés antérieurement dans la ville d’origine de chacun.

                futurs problèmes pour les saisons à venir au sujet de la recherche de logements à louer, et l’obtention de comptes de fournisseurs pour le personnel identifié à Lake Travel.

     

    B. Gel des salaires du mois de décembre 1988 : *

     

    Conséquences du point B :

                . nous avons perdu la confiance dans la parole du conducteur de la compagnie à Calafate.

                . nous avons perdu du pouvoir d’achat.

         . nous nous trouvons devant un déphasage important concernant le paiement de notre Sécurité Sociale, que nous devons assurer nous-mêmes.

     

    En conséquence des points exposés ci-dessus, les soussignés sollicitent :

     

                1. percevoir la totalité du salaire du 1er au 10 de chaque mois.

                2. percevoir un réajustement sur le salaire du mois de janvier 89, à cause du retard de la date de paiement, de 0.50 % par jour suivant la quantité de jours écoulée du 10 février jusqu’à la date du paiement de la totalité ou du solde dû correspondant à chaque guide.

                3. percevoir une augmentation de salaire pour le mois de février.

     

    Espérant que notre réclamation soit satisfaite selon notre inquiétude préoccupée, nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations.

     

    * nda : L’inflation était monstrueuse

     

    Je certifie que les signatures figurant au dos de la présente sont authentiques, pour avoir été signées devant moi.

    Calafate, 22 février 1989. Tampon et signature José illisible Juge de Paix suppléant

     

     

     

    La lettre était raisonnable, nous ne demandions que notre dû. Comme nous avions des doutes que cela suffise, nous fîmes clairement comprendre à ceux des bureaux, que nous pourrions arrêter de travailler quelques jours, c’est-à-dire, voilà le gros mot lâché, nous mettre en grève.

    On n’eut pas besoin de mettre notre menace à exécution, le patron ne pouvait pas se permettre de perdre les agences françaises. Comme quoi, la grève, ou seulement la menace de grève, est encore la meilleure arme dont disposent les employés. Edgard paya un peu moins que ce que l’on demandait, bien sûr, et tout finit par un asado.

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    Calafate - Automne sur le lac Onelli.

     

     


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