• 24 - Le Roi de la Patagonie

     

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    J’échappai une fois au deux à la traversée au Chili, parce qu’il arrivait des Français, et la compagnie m’envoyait en excursion terrestre.

    J’accompagnai un jour un groupe de sénateurs français, tous des hommes, qui allèrent visiter Villa La Angostura, la petite ville sur la rive d’en face, de l’autre côté du lac.

    Chapitre 24 : Le Roi de la Patagonie

    L'église de Villa la Angostura

    C’est à Villa la Angostura que vécut longtemps, en prison dorée, la veuve du Général Perón. Non, pas Evita, qui est morte avant lui. Isabel Perón. Au décès du Général, en 1974, elle devint présidente de la République, jusqu’au golpe de 1976 de Videla et ses amis. Ils l’enfermèrent un temps à Villa La Angostura, puis lui l’exilèrent en Espagne. Les Sénateurs, lorsque je leur en parlai sur le chemin, voulurent voir la propriété.

    Sans autorisation et sans prévenir, je doutais fort que nous puissions rentrer. Le chauffeur nous y amena. Avec mon meilleur accent français, je persuadai le gardien de nous laisser rentrer dans le parc, et au moins nous avons pu faire le tour. Un de mes sénateurs se mit à uriner contre une haie. Les autres le grondèrent, y l'un lui décocha une plaisanterie en latin : « Et bien, avec toi, c'est veni, vidi, pissi ! »

     

    Ensuite nous sommes allés manger dans le meilleur restaurant de la petite ville. Les sénateurs voulurent me garder à table à midi (en excursion normale, guides et chauffeurs filent aux cuisines manger à leur aise en disant des âneries). Tout le repas fusèrent des plaisanteries en latin, qu’ils ne prirent pas la peine de me traduire. J’en compris la moitié. La viande argentine, tendre et goûteuse, fit son effet habituel sur nos sénateurs. L’un d’eux déclara qu’il était prêt à signer qu’il avait mangé la meilleure viande de sa vie.

     

     Une autre fois l’agence reçut un haut gradé français. Je guidai donc l’Amiral Lacoste à l’Ile Victoria. Il n’était pas encore célèbre pour avoir fait plastiquer, via la DGSE (les services secrets français), le bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior, en 1985, en Nouvelle Zélande. Cela avait fait un mort, quand même. Il l’avait peut-être déjà perpétré, (je ne me rappelle plus en quelle année il était venu en Argentine).

    Chapitre 24 : Le Roi de la Patagonie

    Isla Victoria

     

    Lorsque j’avais ainsi des visiteurs de marque (ou que je croyais tels), je leur racontais l’histoire d’un illustre Français qui était venu dans ces contrées au 19e siècle : Orélie Antoine de Tounens.

    Originaire de Dordogne, celui qui à la naissance n’était qu’Antoine Tounens, il débarqua au port de Coquimbo, au Chili, en 1858. C’était l’époque des guerres des blancs contre les Indiens. Il fut accueilli par les Mapuches (appelés Araucans par les colons), Puelches et Tehuelches, dont le territoire s’étendait de part et d’autre de la cordillère, au sud du fleuve Bío Bío, jusqu’au détroit de Magellan. Notre homme proposa au cacique Quilapán de fonder un état mapuche, dont lui, Orélie, prendrait la tête. Les Indiens acceptèrent, et le 20 novembre 1860, il se proclame roi d’Araucanie et de Patagonie sous le nom d’Orélie-Antoine Ier. Pourquoi acceptèrent-ils ce Blanc, alors qu’ils livraient une guerre à mort à ses congénères ?

    Chapitre 24 : Le Roi de la Patagonie

    Orélie Antoine de Tounens, en habit araucan

     

    On n’en est toujours qu’à des conjectures. Deux raisons peuvent avoir influencé les Indiens : d’une part, ce Blanc là venait seul, sans une armée qui massacrait les gens. Peut-être les Indiens mettaient en lui l’espoir de convaincre les autres Blancs de les laisser tranquilles. Quand à se laisser gouverner par un européen, celui là était plutôt débonnaire. L’autre raison tiendrait à une prophétie qui courait chez les Indiens d’Amérique de l’arrivée d’un sauveur blanc et barbu. Constatée au Mexique, il n’est attesté nulle part que cette prophétie soit arrivée dans le sud du continent.

    Quoi qu’il en soit, il est fait prisonnier par les Chiliens en 1862, et enfermé dans un asile de fous. Un bateau français le rapatrie la même année. Il essaie en vain d’intéresser Napoléon III à son royaume du bout du monde. Trop affairé à guerroyer au Mexique, le monarque n’y prête aucune attention.

    En 1871, un deuxième voyage sur ses terres est écourté et il rentre en France où il mourra en 1878 à Tourtoirac, toujours en Dordogne.

    Le titre de Roi de la Patagonie est cependant resté, même de nos jours. Comme il n’avait aucun descendant, le titre se transmit d’une personne à l’autre, sans filiation. Chaque roi désigne un successeur. Il existe toujours un Roi, invité aux mariages princiers et cérémonies des familles royales européennes.

    Durant le court laps de temps où il régna sur place, il fit battre monnaie. Il en reste quelques unes, très rares et très cotées sur le marché numismatique.

    Jean Raspail lui a consacré un livre (1), romancé, mais qui donne un bon aperçu de ces terres lointaines et de l’esprit qui animait ce singulier personnage.

    Si Napoléon le Petit, ainsi que le surnommait Victor Hugo, avait daigné y mettre les moyens, peut-être parlerait-on français dans une ancienne colonie du cône sud…

     

    (1) Roman de Jean Raspail Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, Albin Michel

     

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