• 42 - L'intersaison

    42 - L’intersaison

    L’été 1987-88 se termina, et avec lui la saison à Calafate. On repartit avec nos fourbis. Heureusement qu’il y avait les cars, dont les chauffeurs-propriétaires habitaient à Bariloche. On ne voyait plus les sièges tellement ils étaient pleins.

    On partit une fois de plus vers Río Gallegos, puis on remonta l’interminable route du littoral vers Comodoro Rivadavia. On s’enfonçait alors vers l’Ouest et vers nos montagnes bien-aimées, Esquel, et puis, en arrivant un peu avant Epuyen, l’émotion de croiser les premiers cyprès… On arrive ! Puis El Bolson, nous sommes crevés, vidés, lessivés, harrassés, les lacets des côtes de gravier, ça monte, puis le goudron qui commence au lac Gutierrez, et enfin Sa Majesté Bariloche, impériale au bord du lac Nahuel Huapi. Et pas de vent ! Cela nous apparaissait comme un miracle, nous qui avions pris l’habitude de nous faire bousculer par cet adversaire puissant mais invisible, à peine ouvrait-on une porte pour sortir dehors.

     

    L’automne à Bariloche, c’est gris, pluvieux, pas beau. Mais en revenant de Calafate, c’est pire. Je passai par une période d’agoraphobie. Qu’est-ce que c’est ? L’horreur de l’extérieur. J’étais bien chez moi, et n’avais aucune envie de sortir. Juste les courses et la laverie du centre, chez Kempel. Je me forçai un peu au début. Mais rien que le tour de la cuadra, du pâté de maisons, était pénible. Je passai la plupart du temps au lit, heureuse, à bouquiner ou écouter de la musique. Peut-être que le vent continuel des cinquantièmes rugissants m’avait porté sur les nerfs, à force, et les horaires, les kilomètres, les routes de gravier, les touristes, la fatigue… et le vent, le vent, qui rend fou… Il faut y être né et y avoir grandi pour résister.

    Je passai le mois de vacances inter-saison seule dans mon cocon, à recharger les piles. Puis l’hiver arriva, et la neige : Bariloche dans ses habits d’hiver, c’est somptueux.

    Chapitre 42 - L'intersaison

    J’avais déniché une toute petite maison en bois à Mélipal. Une maison de poupée chauffée par un brûleur à gaz, tellement chaude qu’on pouvait s’y tenir en manches courtes l’hiver. Le paradis.

    Le boulot recommença, entrecoupé de belles journées de ski, non plus comme monitrice mais comme skieuse, les sous en plus, le bonheur.

    J’avais fait rentrer Titina chez Lake Bariloche, on partageait la petite maison de Mélipal, bien plus petite que la première, avec ses lits superposés. On y hébergea même un temps une troisième larronne qui était dans la bouse, Ana, en tirant du bas des couchettes le troisième matelas. On faillit demander au proprio de nous remplacer la douche par une baignoire, pour y ranger les pullovers !

     

    Nous étions trois filles libres, et nous profitions de la vie à pleines dents. On allait souvent en boîte, d’autant plus facilement que nous, les guides, on ne payait pas l’entrée, parce qu’on leur amenait des touristes. A l’époque, le maire de Bariloche était un habitué de la vie nocturne, et présentait une tendance lourde à vider les bouteilles que les patrons de boîtes mettaient généreusement à sa disposition. Un soir Cristina me dit, morte de rire :

    « Hay una pasajera que me acaba de decir que « Hay un borracho que quiere bailar a toda costa conmigo y dice que es el alcalde de Bariloche ! »

    « Il y a une passagère qui vient de me dire que « Il y a un ivrogne qui veut absolument danser avec moi et il dit qu’il est le maire de Bariloche ! »

    Cristina, qui avait repéré le « borracho », (l’ivrogne en question) répondit à la passagère :

    « No dice, ¡ es ! »

    « C’est pas qu’il le dit, c’est vrai ! »

    Nous avions chacune nos petits copains : Ana avec un gars d’une école de ski, Cristina avec un sombre type marié qui se révéla plus tard être un fieffé menteur, et moi… j’avais fini par prêter attention à quelqu’un que je connaissais depuis longtemps : un marin du bateau qui allait à Puerto Blest, et qui s’appelait Angel.

    Chapitre 42 - L'intersaison

    De trois ans plus jeune que moi, nous avions fini par nous apprivoiser l’un l’autre, lorsque je ne travaillais déjà plus comme guide de la traversée au Chili.

    Chapitre 42 - L'intersaison

    Lorsqu’on se cotoyait tous les jours, je n’y avais pas pris garde : la fatigue et la responsabilité du boulot me faisait voir les marins du bateau tous pareils, des compagnons de travail. Puis j’avais d’autres affaires de cœur …

    Angel possédait une maison en bois au km 14 de la route au Llao Llao, et on y passa de bien beaux moments. L’affaire prit un tour plus sérieux lorsqu’il me proposa d’aller à Buenos Aires avec lui, pour me présenter à ses parents, qui vivaient en banlieue, à General Pacheco.

    On avait des projets plein la tête et la vie devant nous.

     

    Retour à l'accueil: http://francaise-argentine-annees-80.eklablog.com/accueil-c25172676


    « Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz43 - Calafate, été 1988-1989 »

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :