• Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Le bras Rico ne se vida pas en deux jours. Cela prit du temps. Lorsqu’enfin le niveau se stabilisa, il laissa à découvert des centaines de mètres de rivage qui jusque là étaient submergés.

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Le brazo Rico du lac Argentino, dont le niveau a baissé de plusieurs mètres après la rupture du glacier Perito Moreno. 1988.

     

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Brazo Rico. La partie marron foncé était sous l'eau. 1988.

     

    Les gamins de Calafate se mirent à la recherche des cuillères que des pêcheurs maladroits avaient accrochées au fond et abandonnées. Certains endroits de pêche en avaient des dizaines, qu’ils revendaient aux touristes.

    Cela prit du temps pour que le bras Rico déverse ses réserves de millions de mètres cubes dans le reste du lac Argentin, qui du coup remonta de plusieurs mètres.

    Donc, l’embarcadère des bateaux pour l’excursion lacustre au glacier Upsala se trouva sous l’eau pendant quelques semaines, empêchant l’embarquement, et par conséquent l’excursion.

    A son tour, le lac Argentino mit en crue son déversoir naturel, le fleuve Santa Cruz.

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Fleuve Santa Cruz près de l'embouchure du lac Argentino.

     

    Lorsque nous allions à Río Gallegos par la route, on voyait briller les méandres du Santa Cruz au loin en contrebas. Lorqu’il entra en crue, à cause de la rupture du glacier qui venait de se produire, le fleuve sautait par-dessus les méandres et coupait en ligne droite, impressionnant.

    Et voilà que cela me rappelait le récit des explorations de notre intrépide Perito Moreno : il explorait le territoire, toujours dans l’objectif de démontrer que les territoires à l’est de la ligne des sommets de la cordillère devaient appartenir à l’Argentine, opinion qui était loin d’être partagée par les Chiliens. Il relate ses explorations dans l’ouvrage Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877. Au chapitre 13, sous-titré « Ascensión del Río Santa Cruz », il raconte qu’en janvier (en été), il remonte le fleuve en barque à voile, hâlé par des péons, et qu’ils ont les pires difficultés du monde à cause de la crue du fleuve :

     

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Dessin de Francisco P. Moreno, reproduit dans son ouvrage "Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877"

     

    Et il écrit :

    «Enero 15* … Además, el río crece con rapidez, habiendo ya pasado en mucho la línea más alta de creciente conocida hasta ahora ; el agua llega fuera del cauce natural hasta cubrir parte de los matorrales de la costa y hace realmente difícil y muy engorroso el camino. »

    *de 1877 (NDA)

     

     

    « Enero 16 … En los puntos donde el río no presenta islas, su aspecto es magnífico ; los hilos de su rápida corriente se dibujan con claridad y las aguas bullen saltando sobre las matas que la inundación ha cubierto ;… »

     

    « Enero 19 … Hay aquí un espeso matorral que las barrancas protegen del viento y donde los arbustos son más elevados, pero hay muchos médanos. Ya la inundación va adelantando y antes de muchos días los habrá cubierto. »

     

    « Enero 25 - Corre el río por la falda de la meseta casi vertical y el principio del trabajo es sumamente engorroso, pués cuando no tenemos ese obstáculo, los bañados de la orilla opuesta se han vuelto intransitables con la creciente ; ésta va en aumento y en ciertos sitios bate con tal fuerza la costa a pique que se desploman grandes fragmentos de roca, éstos pueden aplastar nuestro bote, que arrastramos con energía sin tener en cuenta el peligro. »

     

    « Febrero 2 - La corriente no es tan rápida en este punto, pero la indundación nos retrasa mucho en la marcha ; hay parajes donde el río tiene 400 metros de ancho y donde las aguas han ocultado marorrales sobre los cuales vara el bote y que nos maltratan cruelment al echarnos al agua para desligarlo de las ramas. […] El río está sembrado de islas formadas por la inundación que va invadiendo el valle ; me ecuentro perplejo sobre cuál de los canales debo seguir, pues por todas partes vemos piedras o matorrales cubiertos pero denunciados por los penachos que el agua forma sobre ellos.»

     

     

    « Febrero 9 … El camino es pésimo y el calor insoportable ; la creciente es terrible y hace difícil la continuación de la marcha ; cuando no hay que cruzar por sobe matorrales submergidos, las vueltas nos desesperan. »

     

    « Febrero 10 - … encontramos puntos donde el río parece tener una milla de ancho, tal es la gran inundación. Las vueltas, aunque no muy extensas, van siendo más numerosas.  […]Hemos tenido que tirar el bote a pie, durante casi todo el día, y esto dentro del agua a causa de los arbustos y de la inundación, pero lo hacemos con gusto deseando llegar cuanto antes al famos lago Viedma, donde nos dicen que nace el Santa Cruz.»**

    ** Error, nace del lago Argentino (NDA)

     

    « 15 janvier* … De plus le fleuve monte rapidement, ayant déjà dépassé de beaucoup la ligne de la plus haute crue connue jusqu’à maintenant ; l’eau arrive en dehors du lit naturel jusqu’à couvrir une partie des fourrés de la rive et rend le chemin réellement difficile et très pesant. »

    *1877 (NDA)

     

    « 16 janvier … Aux endroits où le fleuve ne présente pas d’îles, son aspect est magnifique ; les traînées de son courant rapide se dessinent avec clarté et les eaux bouillonnent en sautant par dessus les buissons que l’inondation a recouverts ;… »

     « 19 janvier … Il y a ici des fourrés épais que les falaises protègent du vent et où les arbustes sont plus hauts, mais il y a beaucoup de dunes. Déjà l’inondation avance et dans quelques jours elle les aura recouverts. »

     

    « 25 janvier - Le fleuve court au pied du plateau presque vertical et le début du travail est suprêmement lourd, car lorsque nous n’avons pas cet obstacle, les marais de la rive opposée sont devenus intransitables avec la crue ; celle-ci va en augmentant et à certains endroits elle frappe la rive à pic avec tant de force que de grands fragments de rochers se détachent, ceux-ci peuvent écraser notre barque, que nous tirons avec énergie sans tenir compte du danger ».

     

    « 2 février - Le courant n’est pas aussi rapide à ce point, mais l’inondation nous retarde beaucoup dans notre marche ; il y a des endroit où le fleuve fait 400 mètres de large et où les eaux ont caché les fourrés sur lesquels la barque s’échoue, et qui nous maltraitent cruellement lorsque nous nous mettons à l’eau pour la libérer des branches. […] Le fleuve est parsemé par des îles formées par l’inondation qui envahit la vallée ; je me trouve perplexe quand à quel canal je dois suivre, car partout nous voyons des pierres ou des fourrés recouverts mais reconnaissables aux moutons que l’eau forme en passant par-dessus.

     

    « 9 février … Le chemin est très mauvais et la chaleur insupportable ; la crue est terrible et rend difficile la suite de la marche ; lorsqu’il ne s'agit pas de traverser par-dessus des fourrés submergés, les méandres nous désespèrent. »

     

    « 10 février - … nous trouvons des endroits où le fleuve paraît avoir un mille de large, telle est la grande inondation. Les méandres, bien que pas très étendus, se font plus nombreux.  […]Nous avons dû tirer la barque à pied, pendant presque tout le jour, et ceci dans l’eau à cause des arbustes et de l’inondation, mais nous le faisons bien volontiers, désirant arriver au plus tôt au lac Viedma, où l’on dit que naît le fleuve Santa Cruz»**

    ** Erreur, il naît du lac Argentino (NDA)

     

     

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Dessin de Francisco P. Moreno, reproduit dans son ouvrage "Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877"

     

    Donc, cette crue qu’il mentionne presque tous les jours dans son journal, et qui semble avoir « dépassé de beaucoup la ligne de la plus haute crue connue jusqu’à maintenant », à quoi peut-elle être due, en plein été, si ce n’est à une rupture du glacier ?

    Hé ?

    Le 13 février 1877, il arrive au lac qu’il baptisera lui-même lac Argentino. Il est à cheval en train de remonter une dune : « Trepo la oleada de arena y encuentro el grandioso lago que ostenta toda su grandeza hacia el oeste. Es un espectáculo impagable y comprendo que no merece siquiera mención lo que hemos trabajado para presenciarlo : todo lo olvido ante él. »  « Je grimpe la vague de sable et je trouve le grandiose lac qui étale sa grandeur vers l’ouest. C’est un spectacle sans prix et je comprends qu’il ne mérite même pas la mention de ce que nous avons travaillé pour y assister : j’oublie tout devant lui. »  Et que voit-il au milieu des ces eaux « azul-verdosas » (bleu-vert), que l’on ne voit jamais en époque normale ? Un « cristalino témpano », un iceberg cristallin ! Certainement un morceau de la rupture, poussé par le courant, qui n’a pas encore eu le temps de fondre.

    Mais il n’est pas au bout de ses peines. Pouvant enfin avancer à la voile lorsqu’ils arrivent au lac, ils essuient ce qu’ils appellent « une tempête ».

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Dessin de Francisco P. Moreno, reproduit dans son ouvrage "Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877"

     

    Ce n’était peut-être qu’un jour où le vent était plus fort que d’habitude, comme nous avons vu au chapitre 30.

    Il continue son récit en mentionnant plusieurs fois encore que le niveau du lac est bien au-dessus de la normale.

    Le 19 février, au pied d’une falaise il trouve un monticule qui lui paraît artificiel. L’homme de science creuse et trouve des déchets de repas, os de guanacos « très vieux », dit-il, et mélangés avec des restes de couteaux, grattoirs et une hache de pierre.  Plus loin, dans un abri sous roche décoré de peintures rupestres, il creuse aussi et trouve un corps assez bien conservé, peint en rouge, et enveloppé de cuir d’autruche. Ses genoux sont repliés sur sa poitrine, une plume de condor en travers du torse. Sa main droite repose sur son visage, comme s’il se cachait un œil.  Moreno refuse « d’attribuer des idées élevées ou religieuses » à ce mort. C’est ainsi qu’il entassera dans son musée de La Plata, (voir chapitre 16) dont il est le fondateur, des restes et des squelettes sans aucun égard pour les êtres humains qu’ils furent un jour. Il avait même promis au cacique Inacayal, Mapuche, qu’une fois mort il exposerait son crâne, qu’il jugeait intéressant, dans le musée. Cela bien sûr bafouait violemment les croyances mapuches de l’au-delà. Cette idée n’effleura pas Moreno une seule seconde.

    Il continue son expédition vers le lac Viedma et le mont Fitz Roy. Lui et ses hommes rencontrent des Tehuelches, déjà touchés par l’alcool. Ce sont eux qui lui révèlent le « vrai » nom du Fitz Roy : le Chaltén, « la montagne qui fume », ce qui fait penser Moreno à un volcan, et c’est ainsi qu’il en parle dans son livre, le « volcan Fitz Roy ».

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Une tente d'Indiens Tehuelches, position "été" (ouverte)

    Dessin de Francisco P. Moreno, reproduit dans son ouvrage "Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877"

    Moreno, toujours curieux, élabore un lexique castillan-tehuelche, en précisant bien que l’on change le nom des choses lorsque les gens meurent.

    Prodigieuse inventivité linguistique…

    Il raconte que lorsqu’il mentionne le nom en tehuelche d’un objet, qu’il tient de voyageurs blancs antérieurs, on lui répond « Asi se decía antes » (Cela se disait ainsi avant).

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Lexique élaboré par Francisco P. Moreno, reproduit dans son ouvrage "Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877"

     

    Le 12 mars ils arrivent au plus loin vers l’ouest, où ils plantent un drapeau argentin, et que l’on appelle depuis « Punta Bandera », la pointe du drapeau. C’est l’endroit où se situe le port d’où l’on embarque aujourd’hui pour les excursions lacustres.

    Moreno n’est pas allé jusqu’au glacier qui maintenant porte son nom. Il voit le canal des Témpanos (canal des icebergs), mais renonce à y engager sa barque, à cause justement de la grande quantité d’icebergs qui barrent le passage.

     

    Chapitre 41 - Après la rupture du glacier, la crue du fleuve Santa Cruz

    Carte élaborée par Francisco P. Moreno, 1879

    Il retournera sur ses pas, toujours avec sa barque, poussé cette fois-ci, presque trop fort, par les vents d’Ouest, toujours les mêmes. Le vent souffle uniquement de ce côté, tout l’été. Il remarque que l’eau a encore monté par rapport à ce qu’il a vu à l’aller, et que les endroits de leurs précédents campements sont inondés. Il se donne le plaisir de descendre sans peine et très vite le fleuve Santa Cruz, qui lui a coûté tant de temps et tant d’efforts à remonter.

    Il est dommage qu’il n’ait pas poussé jusqu’au bras Rico. Il aurait pu alors nous certifier de visu ce que l’on suppose à lire son ouvrage : une rupture du barrage de glace venait de se produire, et le bras Rico était en train de se vider dans le lac Argentino, jusqu’à son déversoir le fleuve Santa Cruz.

     

    Source : Viaje a la Patagonia Austral 1876-1877 Francisco P. Moreno

    Capítulo 13 Ascensión del Río Santa Cruz

    Capítulo 14 Ascensión del Río Santa Cruz - Llegada al lago

    Capítulo 15 En el lago Argentino

    Capítulo 16 Excursión hacia el Norte. Las Tolderías. Vocabulario Castellano-Tehuelche, Ahonekenke o Tsonera.

    Capítulo 18 Excursión al Oeste. Punta Bandera. Los Andes. Descenso del Santa Cruz

    - Ediciones Solar, Buenos Aires


     

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